Le Sénat, assemblée de privilégiés
Polémique. La Chambre haute, qui élit aujourd’hui son président, soigne ses membres.
RENAUD LECADRE
Le Sénat élit aujourd’hui son président. Gérard Larcher, vainqueur de la primaire organisée par l’UMP, le sera dans un fauteuil, nonobstant quelques candidatures dissidentes (lire ci-contre). Mais il arrive au «plateau» en pleine polémique sur les frais de fonctionnement du Sénat. Son prédécesseur, Christian Poncelet, vient de lâcher du lest en renonçant à son «appartement à vie», privilège réservé aux anciens présidents du Sénat.
Le lièvre avait été levé dans un récent livre, le Sénat, enquête sur les superprivilégiés de la République (éditions du Rocher), rédigé par Robert Colonna d’Istria et Yvan Stéfanovitch. Les auteurs précisent que son 200 m2 avait dû être rapatrié in extremis au premier étage, la chienne de Poncelet, Justine, souffrant du vertige. Il proclame qu’il lâchera son appartement en 2014, à l’issue de son ultime mandat sénatorial. La polémique est momentanément circonscrite, mais pas le problème de fond(s) sur ce «seul club qui paie ses membres», selon un d’entre eux.
Des indemnités hors du commun
Chaque sénateur perçoit une indemnité mensuelle de 5 400 euros. S’ajoutent une indemnité de frais de représentation (6 600 euros), une indemnité parlementaire dont l’objet est indéterminé (1 400 euros), une prime informatique (1 000 euros, de quoi s’acheter un ordinateur tous les mois). Plus des avantages financiers dérogatoires au droit commun : emprunt immobilier (jusqu’à 150 000 euros) à 2 % ; retraite à 58 ans avec 80 % du salaire ancien… Certes, tout législateur doit bénéficier d’une autonomie financière, en vue de résister à l’exécutif. Mais les sénateurs poussent un peu le bouchon : est-il vraiment nécessaire qu’un verre de whisky à la buvette du Sénat ne leur soit facturé que 50 centimes d’euros ?
Des collaborateurs à foison
Chaque sénateur dispose en sus d’une enveloppe mensuelle de 7 000 euros pour rémunérer deux ou trois collaborateurs. Dans sa sagesse, le règlement du Sénat stipule qu’un seul d’entre eux peut être membre de sa famille. Le syndicat Unsa mentionne le cas de deux licenciements abusifs, deux femmes virées manu militari par Henri de Raincourt, président du groupe UMP au Sénat : la première pour avoir annoncé l’arrivée de ses invités avec huit minutes de retard (elle sera licenciée dans le quart d’heure) ; l’autre, virée en plein congé maternité pour cause de modification de l’intitulé du groupe parlementaire (l’ex-PR étant fondu dans l’UMP). Pour éviter un spectaculaire procès aux prud’hommes, Raincourt a préféré conclure avec elles une transaction secrète.
Une cagnotte à discrétion
Sitôt remportée la primaire au sein de l’UMP, Gérard Larcher a tenu à justifier le principe de la «réserve parlementaire» : un droit de tirage des parlementaires (300 millions d’euros par an) sur le budget de l’Etat, en vue de financer quelques bonnes œuvres. Discrète, discrétionnaire surtout, la manip ouvre la porte à tous les clientélismes locaux. Larcher, donc, cite l’exemple d’une église (trop petite ou trop peu remarquable pour bénéficier d’une subvention de l’Etat) rénovée grâce à cette réserve parlementaire. Et de préciser : une église «de mon département». De l’art de se tirer une balle dans le pied.
Des vieillards cacochymes
Jean-François Probst, ancien secrétaire du groupe RPR au Sénat, raconte volontiers l’anecdote. En 1996, Christian Poncelet, tout jeune (68 ans) président de la commission des finances, rend visite au président Alain Poher (85 ans) sur son lit de mort. Poncelet, obséquieux : «Président, tout le monde attend votre retour au Sénat. On s’occupe de tout.» Poher, perdu : «J’en parlerai aux Américains.» Les auteurs du bouquin évoquent le cas de l’ancienne doyenne, Paulette Brisepierre, 92 ans, amatrice de belles voitures (coupé Mercedes, Porsche décapotable). Les gestionnaires du Sénat en ont été réduits à lui interdire le parking en sous-sol - emboutissage garanti - et lui ont réservé un emplacement dans la cour d’honneur, sous le panneau «réservé aux dignitaires du Sénat». Cela n’a pas empêché Mme Brisepierre de plier l’arrière-train de son dernier bijou. A 59 ans, Larcher est assuré de donner un coup de jeune au Sénat.