Paris, le 19 octobre 2011
Lettre à celles et ceux qui m'ont fait l'honneur de
me soutenir
Chères amies, chers amis,
Chères et chers
volontaires,
Je tenais après les événements de la semaine passée à
vous remercier pour votre engagement personnel dans cette magnifique campagne
qui nous a permis de faire changer le visage de la gauche en France.
Dans cette campagne, à force d’idées et de
convictions, nous avons remporté ce qu’il y a de plus prometteur en politique :
le combat culturel. Nous avons non seulement imposé nos idées, ainsi que les
mots pour les dire, et surtout cette idée que nous pouvions, ensemble, à gauche,
rouvrir le champ des possibles. Nous avons, pied à pied, lutté contre les idées
que les droites ont pendant si longtemps distillées dans le débat public, qui
avaient contaminé nos têtes d'hommes et de femmes de gauche, selon laquelle la
France ne serait rien et que nous ne pourrions rien faire dans la
mondialisation. Nous n’avons pas gagné arithmétiquement mais gagné
culturellement. C’était une étape nécessaire et essentielle. Elle a été franchie
grâce à vous.
Je sais votre engagement personnel et les heures
passées dans cette campagne, et tenais à vous en remercier personnellement et
chaleureusement.
Beaucoup d'entre vous m'ont fait part de leur
sentiment d'incompréhension, et pour certains d'entre vous d'abandon, dans le
choix qui fut le mien de refuser de donner des consignes de vote, et de décider
de voter François Hollande « à titre exclusivement personnel ».
Mon devoir est de vous faire connaître les raisons
qui m'ont conduit à faire ce choix difficile dans une semaine où s'est joué une
partie du sort de la gauche.
Puis-je rappeler que, pour moi, les candidatures du
deuxième tour, François Hollande et Martine Aubry, étaient semblables, ce que
j'ai rappelé pendant toute la campagne de premier tour ? Issues de la même
tradition politique -le delorisme-, ayant cogéré le Parti Socialiste pendant 15
ans, ayant tous deux voté « Oui » au Traité Constitutionnel Européen, la
campagne n'a pas montré de divergences entre les deux candidats, au point que
Martine Aubry elle-même déclarait « Nous sommes très proches sur le projet. Ce
qui nous différencie, c'est plus le tempérament ». Le débat télévisé du 2e tour
m'a conforté dans cette analyse puisque la campagne de l'entre-deux tour porta
finalement sur la confrontation entre ces deux caractères, ce qui ne peut
constituer à mes yeux, un choix d'orientation pour le pays.
Souvent d'ailleurs, moins les divergences sont
sensibles sur le fond, plus la violence des accusations publiques d'un candidat
contre l'autre paraît illégitime. Au point que la Haute Autorité dut s'en mêler
pour disqualifier les attaques personnelles de Martine Aubry contre François
Hollande dans les 48 dernières heures précédant le 16 octobre.
Lorsque je suis sorti avec vous de ce magnifique
premier tour, ma responsabilité de leader ayant obtenu près d'un demi million de
suffrages était lourdement engagée pour la réussite des primaires, dont j'étais
l'architecte.
Je vais donc vous faire la narration de ce qui s'est
passé pendant ces 5 jours, parce que je vous le dois.
Mon premier travail a consisté à interroger
publiquement les deux candidats impétrants. Il s'agissait de mettre le futur
vainqueur des primaires dans la situation de devoir rassembler les 455 609
électeurs des primaires qui avaient soutenu nos propositions et solutions
nouvelles. Et de les faire entendre ultérieurement dans un système politique où
la désignation d'un candidat laisse traditionnellement à celui-ci les mains
libres.
J'ai donc choisi la méthode de la lettre publique. Ce
fut, avec les « stand up » au contact de la population, l'acte de rénovation le
plus innovant de notre campagne : sous la Ve République les candidats à
l'élection présidentielle se contentent d'engagements flous, et se détachent
généralement des programmes de leur parti. L'homme providentiel que les Français
cherchent dans le suffrage universel n'accepte pas de passer contrat devant les
Français. C'est l'inverse que j'ai décidé de tenter.
L'échange de lettres avec les candidats permettait
d'éclairer les électeurs de la primaire, et amenait surtout le futur candidat à
prendre des engagements, inaugurant une forme de présidence moins providentielle
et davantage contractuelle.
Lorsque les lettres de Martine Aubry (mercredi soir)
et François Hollande (jeudi après midi) sont arrivées, j'ai observé la
similitude des réflexes sur les trois questions que je posais : sur la mise sous
tutelle du système financier, le protectionnisme européen et la naissance
souhaitée de la VIe République, les réponses étaient largement semblables.
Curieusement, la surprise vint des réponses de François Hollande sur la finance
et la mise sous tutelle des banques. A l'évidence, le parcours que François
Hollande avait accompli au sujet de la soumission de la finance au pouvoir
politique, était sensible et encourageant. Rétrospectivement, je me souvenais
avoir proposé d'intégrer un an plus tôt ces propositions dans le projet
socialiste sous l'arbitrage de Martine Aubry, en vain, car celle‑ci avait opposé
à cette demande une résistance incompréhensible.
Pendant le débat télévisé, François Hollande avait
déjà montré sur ce sujet des signes d'évolution et de volontarisme que Martine
Aubry avait écartés de façon péremptoire. Celle-ci n'avait-elle d'ailleurs pas
déclaré le lendemain du premier tour : « Je ne changerai pas pour convaincre
Arnaud Montebourg » ? Le fait est que les deux candidats se trouvaient à 3 jours
du deuxième tour sur des propositions à peu près identiques. Dans sa lettre,
François Hollande proposait un léger plus, sans que je ne l'ai d'ailleurs
demandé : l'abrogation d'une directive européenne malfaisante (la directive MIF,
mais il y en a bien d'autres à abroger), qui en 2008 a achevé de déréglementer
le secteur financier.
Le choix entre les deux impétrants ne pouvait donc se
faire sur le fond car, peu ou prou, tous deux portaient le même projet.
Si l'on cherchait ensuite à se repérer dans les
entourages, du côté de François Hollande, nous observions le ralliement sans
condition de Manuel Valls, et du côté de Martine Aubry, nous observions le
soutien public de Dominique Strauss-Kahn, uni à elle par un pacte, qui avait
conduit Martine Aubry à soutenir ouvertement la candidature de ce dernier avant
son arrestation, pacte confirmé dans le fait que l'intéressé fit savoir qu'il
avait voté pour elle au premier tour de la primaire.
Là encore l'indistinction était au rendez-vous. Un
peu plus tard, mon amie Ségolène Royal, avec laquelle j'ai partagé un certain
nombre d'analyses et de propositions, décidait de soutenir sous certaines
conditions intéressantes, François Hollande.
Si l'on voulait chercher encore dans le passé des
arguments pour justifier de pencher pour l'un ou pour l'autre, nous retrouvions
encore la même égalité de traitement. Je me suis ainsi souvenu avoir vécu la
solitude au Congrès du Mans en 2005 où la VIe République me fut refusée par
François Hollande. Je me suis souvenu de la même solitude à l'été 2009,
contraint de menacer publiquement de quitter le PS pour imposer à Martine Aubry
les primaires dans une tribune du Nouvel Observateur où j'étais acculé à écrire
: « Le combat que je mène en faveur des primaires ouvertes à l'ensemble des
citoyens de gauche est une ultime tentative pour associer la population aux
choix de la gauche dans le jeu délétère de la présidentielle. Je le dis tout
net, je n'irai pas plus loin. Si je devais échouer, ce combat serait pour moi le
dernier, au sein d'un PS qui telle la vieille SFIO ne mérite plus qu'on l'aide à
survivre ». Je me suis encore souvenu de la même solitude dans l'affaire
Guérini, au mois de juillet 2011, où je dus voter seul contre un rapport adopté
à l'unanimité du Bureau national moins ma voix, qui épargnait le sénateur
socialiste Guérini, poursuivi ultérieurement pour association de malfaiteurs, où
l'on me reprochait d'avoir indûment enquêté. Ce rapport mettait en accusation
publique le secrétaire national à la Rénovation que j'étais, pour son travail
pourtant scrupuleux de... rénovation dans l'intérêt du Parti Socialiste.
Ces faits n'ont pas altéré mon jugement, car ils
plaçaient finalement sur un pied d'égalité dans l'ordre du mauvais vouloir, les
deux candidats impétrants au regard des objectifs de rénovation que j'ai
poursuivis avec vous tous pendant toutes ces années.
Dépouillé de toute préférence personnelle, il ne me
restait finalement pour guide que l'essentiel, l'intérêt de la gauche.
Le plus facile, le plus aisé, le plus agréable pour
moi-même et pour tous ceux qui m'avaient accompagné, déchirés entre François
Hollande et Martine Aubry, eût été de ne rien dire, de garder le silence, de ne
donner aucune consigne de vote, se taire et partir se terrer en Saône et
Loire.
Tous mes amis représentant notre mouvement dans les
départements se sont unanimement prononcés en faveur de cette solution. Mais
pour moi c'était une facilité dangereuse et irresponsable. C'est pourquoi j'ai
décidé de faire un autre choix, mon choix personnel, aussi respectable que
d'autres faits par mes amis. Je décidais donc de leur désobéir et d'affronter
leur courroux.
En effet, que penser d'un dirigeant aspirant aux plus
hautes fonctions, refusant de choisir entre deux camarades de sa propre famille
politique ? Outre le ridicule qui l'aurait frappé à donner le spectacle d'être
incapable de choisir et d'affronter l'impopularité d'un choix auprès de la
moitié de ses électeurs, je me serais définitivement disqualifié.
Mais le plus grave était dans le risque que ce
non-choix faisait courir à la gauche. Si je ne voulais pas choisir, ou refusais
de dire mon choix, cela voulait dire qu'aucun compromis n'était possible avec
les deux autres candidats, et que le socialiste que j'étais ayant recueilli un
demi million de suffrages n'était pas apte à travailler avec les deux autres.
Cela voulait dire que nos divisions étaient trop fortes, et que mon silence
revenait implicitement à quitter le Parti Socialiste et rejoindre un ailleurs
indéterminé.
Il fallait donc choisir. J'ai écarté le soutien à
Martine Aubry car la soutenir aurait eu pour conséquence de couper en deux le
corps électoral des primaires. Martine Aubry avait trop de retard pour
l'emporter, même dans le cas où 100 % de mes électeurs se reportaient sur elle.
Je mesurais à quel point cette hypothèse était impossible car mes électeurs
étaient coupés en deux parts égales en faveur de l'un ou de l'autre. Et même si
cette hypothèse se réalisait, je prenais la lourde responsabilité de briser le
résultat et la force des primaires, car la gauche risquait de sortir à 50-50
avec une guerre qui se prolongerait dans la présidentielle, défaite à la clé,
répétant le scénario noir du Congrès calamiteux de Reims et des divisions de
2007.
J'ai donc choisi d'accomplir un acte unitaire. Unir
les deux gauches, celles qui sont en apparence les plus éloignées et qui ne
peuvent pas gagner si elles ne sont pas unies.
J'ai fait le choix le plus difficile, celui d'unir ma
force à François Hollande, même si nous nous sommes affrontés pendant 10 ans. Je
l'ai fait avec un seul et unique objectif, presqu'une obsession : la victoire de
la gauche.
J'ai reçu beaucoup de messages de méchante
désapprobation, d'accusation de trahison, et de noms d'oiseaux de toutes sortes
de plumes. J'ai même lu que je me serais laissé corrompre par on ne sait quelle
promesse de haute fonction. Mais ceux qui croient cela savent-ils que la
campagne est loin d'être gagnée, qu'il faudra vaincre au premier tour l'extrême
droite puis ensuite la droite ?
Et pour réussir tout cela, il faudra s'unir, malgré
toutes les tentations contraires. C'est ce que j'ai choisi de faire. Tous ceux
qui m'ont reproché de voter à titre personnel François Hollande, le feront eux
aussi bientôt parce qu'ils voudront l'emporter.
Choisir pour d'autres est toujours un honneur, mais
parfois aussi une charge délicate. Quoi qu'il advienne, les propositions et les
solutions nouvelles que j'ai défendues pour bâtir la Nouvelle France seront
portées haut et fort dans la campagne, car elles sont désormais au coeur de
l'élection présidentielle. La droite et l'extrême droite qui m'attaquent très
violemment, voudraient tant se les approprier. C'est le signe que nos idées
neuves sont entrées en résonance avec la société française. Et elles
contribueront à notre victoire, soyez-en certains. J'y attacherai une vigilance
de chaque instant et toute personnelle. Il restera à les mettre en oeuvre
ensuite. C'est pour cela qu'il faut l'emporter le 6 mai 2012.
Je vous prie de croire en l'assurance de ma plus
fidèle amitié.
Arnaud MONTEBOURG