Sports 09/06/2009 à 15h25 «Kaka ne coûtera rien au Real Madrid»Recueilli par Julien Laloye Kaka, désormais deuxième joueur le plus cher de l'histoire, derrière Zinedine Zidane et devant Luis Figo (REUTERS)
Frederic Bolotny est économiste au Centre de droit et d'économie du sport (CDES). Auteur d'une étude sur l'exploitation économique du transfert de Zinedine Zidane en 2001, il revient sur l'arrivée de Kaka dans le club madrilène pour un montant de 67 millions d'euros.
Avec le retour de Florentino Perez aux affaires, le Real Madrid semble renouer avec le modèle de développement qui a fait le succès, puis la perte des «Galactiques». Peut-on considérer que le recrutement de Kaka obéit à une logique sportive et économique cohérente?Florentino Perez en changera pas son mode de fonctionnement en revenant au Real. Lors de son premier mandat, il a développé une stratégie mondiale visant à exploiter en synergie la «marque» Real Madrid et l'image de quelques grands joueurs, rentables aussi bien sportivement que commercialement. Le tout répondant à une logique strictement économique : faire de l'activité principale de l'entreprise, le football, qui n'est pas rentable à la base, un support pour la légitimité maketing de la «marque» Real.
C'est pour cela qu'on compare souvent les clubs de foot à Disney. Faire des longs-métrages ça ne rapporte rien, mais toutes les activités périphériques (Disneyland, la figure de Mickey) compensent. C'est pareil pour un club comme le Real Madrid, à la différence que Kaka n'est pas Mickey et qu'il existe bel et bien.
Lors des deux premières années, Florentino Perez a eu tout bon. Mickey -Zidane- faisait le spectacle et améliorait les résultats de l'équipe (ndlr: le club a remporté une ligue des champions et un championnat d'Espagne), pendant que Perez arrivait à décorréler la réussite économique de la réussite sportive, faisant du Real Madrid le club le plus rentable et le plus populaire au monde.
La suite a été beaucoup moins glorieuse pour Florentino Perez, qui a perdu la confiance des socios à cause du manque de résultats...
Le problème, c'est quand le sportif est totalement oublié. Makelele, qui était nécessaire à l'équilibre défensif de l'équipe n'a pas été conservé parce qu'il ne rapportait rien à la «marque» Real. Puis Beckham est arrivé pour vendre des maillots en Asie alors que sportivement, son apport était discutable.
Perez s'est mis à jouer au monopoly avec ses joueurs, en mettant en avant le potentiel marketing de ses recrues avant de réfléchir à leur impact sur le terrain. On peut penser que cette fois-ci, cet homme d'affaire avisé (ndlr: patron d'ACS, deuxième entreprise mondiale dans le domaine du bâtiment), ne reproduira pas les mêmes erreurs et restera raisonnable.
Le transfert de Kaka, qui est un joueur dont le Real a vraiment besoin pour remonter la pente, est une impulsion pour les années à venir, pas le signe annonciateur de dépenses frénétiques pour cet été. Je pense que Perez va cette fois recruter les meilleurs joueurs du monde, et pas seulement les plus vendeurs dans les quatre coins du globe.
67 millions d'euros représentent tout de même un investissement considérable. Comment Le Real Madrid s'y prend-il pour amortir le coût d'un tel transfert ? Contrairement à ce que l'on peut penser, le coût d'un joueur comme Kaka correspond à un calcul financier rationnel. Perez arrive à amortir de telles sommes d'argent en rachetant au joueur qui vient de signer le droit d'exploiter son image, contre le versement de royalties.
Dans le cas de Zinedine Zidane, qui coûtait chaque année 17 millions d'euros au club, en comptant le salaire net, les charges et les primes diverses, Perez retombait sur ses pieds grâce à la commercialisation de ses droits d'image (vente de maillots, renégociation à la hausse des contrats de sponsoring, développement des produits dérivés...).
Le Real avait augmenté de 25% son chiffre d'affaires l'année de son arrivée.
Ce sera la même chose pour Kaka, qui en plus permet de s'ouvrir d'avantage au marché sud-américain. Si on ajoute l'augmentation corrélative des droits TV, qui en Espagne, sont négociés individuellement par les clubs (ndlr: lors du dernier appel d'offre, le Real Madrid a vendu ses droits à MediaPro pour 1,5 milliards d'euros sur cinq ans) et la hausse des recettes de billetterie qui pourraient suivre, on voit bien que le transfert du Brésilien ne coûtera rien au Real Madrid.
Un tel investissement est inimaginable en France, où les clubs se plaignent de la fiscalité trop élevée qui les empêchent de recruter les meilleurs joueurs...C'est un faux débat. Le football français ne s'en vante pas, mais depuis quelques années il a obtenu une baisse de la pression fiscale non négligeable pour se mettre au niveau de ses voisins européenns.
Au-delà des mesures fiscales générales qui avantagent directement les clubs de foot, comme la baisse de l'impôt sur le revenu ou la mise en place du bouclier fiscal, l'Etat a aménagé ses lois pour satisfaire le secteur sportif. La loi DIC (droit à l'image collective), votée en 2004, permet aux sociétés sportives d'exonérer de toutes cotisations sociales jusqu'à 30% du salaire brut de leurs salariés. Ce qui revient, en gros, à rémunérer le joueur en droit à l'image pour un tiers de son revenu. Le différentiel de coût salarial qui existait entre les grands championnats étrangers et la Ligue 1 s'est donc considérablement amoindri, à peine 20% aujourd'hui.
C'est plutôt le manque d'infrastructures qui empêche les clubs français de rivaliser sur le plan européen. Les stades sont vétustes, les recettes de billetterie trois fois moindres, et la télé-dépendance, qui alimente 60% du revenu des clubs, rend l'équilibre très fragile. Tant que le football français ne fera pas des progrès de ce côté-là, des joueurs comme Kaka resteront inaccessibles.