Louis Schweitzer, la figure "du capitalisme à visage humain" s’est encore goinfré de stock-options Dans le petit monde du capitalisme hexagonal, il y a des patrons qui réussissent, malgré une pratique de leur métier finalement assez banale, à incarner un supplément d’âme. Le président de Renault, Louis Schweitzer
(photo) est de ceux là. Pas du tout le genre d’homme qu’on associerait avec un patron voyou, un Jean-Marie Messier qui veut partir avec une indemnité de 20 millions, ou un Antoine Zacharias, le patron de Vinci, qui voulait virer son numéro 2 qui lui refusait le versement d’une nouvelle prime de 12 millions. Et pourtant, à la lecture du dernier document de référence du groupe Renault, on apprend que cette figure du
"capitalisme à visage humain" est un homme qui ne crache pas sur les euros, sous forme de stock-options (en plus c’est fiscalement plus avantageux)...
Ancien directeur de cabinet de Laurent Fabius (ce qui lui a valu d’être impliqué dans le scandale du sang contaminé et celui des écoutes de l’Elysée), Louis Schweitzer est de culture protestante, étiqueté "à gauche" et occupe depuis 1992 la présidence du groupe Renault (depuis 2005, il n'est plus que président du conseil d'administration, ayant cédé le poste de PDG à Carlos Ghosn). Il est aussi président de la Halde (Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité), président du Conseil du surveillance du Monde, président du Conseil d’administration du Festival d’Avignon, et cumule les postes d’administrateurs dans des entreprises et des musées.
A la lecture des portraits que les journalistes font de lui, l’impression qui domine est que Schweitzer est un mec bien. Exemple, un
article récent de la Croix qui n’hésite pas à faire dans le cirage de pompes. Il est présenté comme un "sage", qui "cultive une élégance un brin distante" et "combat toujours les atteintes aux libertés".
Lors de sa nomination à la présidence du conseil de surveillance du
Monde, Libération avait rappelé que l’homme n’avait pas toujours été si sensible que cela aux discriminations (Renault a été exemplaire en matière de discrimination syndicale notamment) et que, patron de gauche ou pas, il n’avait pas hésité à fermer l’usine de Vilvoorde, en 1997. Bref, homme de culture ou pas, Schweitzer y apparaissait comme un patron finalement assez classique.
La lecture du document de référence de Renault permet de montrer une face encore moins reluisante de ce patron "de gauche". En 2007, comme en 2006, Louis Schweitzer a été l’un des patrons les mieux payés du Cac 40, grâce à des levées record de stock options. En 2006, il avait touché 11,9 millions d’euros (salaire plus options). En 2007, le montant atteint 7,9 millions, dont 7,7 millions de plus-value sur stock-options.
Le rapport annuel indique ainsi qu’il a "levé" 67 000 options d’achat d’actions au cours de 49,27 euros, date d’échéance 6 septembre 2010 et 70 000 options d’achat d’actions au cours de 48,97 euros, date d’échéance 18 décembre 2011. En allant sur le
site de l’AMF, et en retrouvant les déclarations faites au cours de l’année, on peut retracer toutes ses opérations.
Le 7 mai 2007, il a exercé 67 000 options, achetant autant d’actions au cours de 49,27 euros, qu’il a revendues dans la foulée au cours de 100,57 euros. Plus value : 3 437 000 euros. Le 29 juin, il a exercé 30 000 options au cours de 48,97 euros, qu’il a revendues au cours de 119,50 euros. Plus value : 2 115 900 euros. Le 30 novembre, il a exercé 20 000 options au cours de 48,97 euros, qu’il a revenues au cours de 99,94 euros. Plus value : 1 019 400 euros. Le 3 décembre, il a exercé 20 000 options au cours de 48,97 euros, qu’il a revendues à un cours que j’estime à 100 euros (l’information n’est pas donnée par l’AMF). Plus value : 1,2 millions.
Total des plus values : 7,7 millions d’euros.
Appréciable, non? Mais aussi totalement injuste quand on connaît le sort des ouvriers français et étrangers de Renault, et celui des ouvriers de sa filiale Dacia, qui se défoncent pour améliorer la productivité de leur entreprise. Et ne reçoivent pas le centième de ce que Schweitzer gagne. Voir la
récente grève des ouvriers roumains de Dacia, pour que leur salaire mensuel de 284 euros soit augmenté.
Alors, que faire face à cette inégalité? Se plaindre, et rester impuissant? Il y a une autre solution, qui est de suivre les conseils de Louis Schweitzer lui-même, dans un entretien où le président de Renault s’est totalement lâché, mais qui est passé inaperçu, puisqu’il a été publié dans un ouvrage, un des succès de la rentrée littéraire 2007,
Cendrillon, d’Eric Reinhardt.
Cet ouvrage, que j’ai déjà mentionné à propos de sa description du monde de la finance (et des ressemblances entre le personnage de Laurent Dahl et Jérôme Kerviel), comporte vers sa fin (à partir de la page 472) une conversation au Café Le Nemours, près du Palais Royal à Paris (lieu central de l’ouvrage), entre l’écrivain (qui se met en scène) et Louis Schweitzer. Le thème en est grosso modo "les excès du capitalisme financier". Beaucoup de critiques ont cru que l’entretien avait été imaginé. En fait, la seule invention de Reinhardt a été l'endroit L’entretien a eu lieu dans le bureau du patron de Renault. Et il a été relu et corrigé par Schweitzer, qui donc assume totalement ses propos.
Et que dit l’homme qui gagne des millions de stock-options? Que le monde du capitalisme financier a dérapé. "Le code anglo-saxon, unidimensionnel, qui s’oppose au code français, pluridimensionnel, est devenu la norme : l’argent est la mesure de toute chose. (…) C’est aussi un pur rapport de force", décrit-il. Et le patron de Renault de se faire prophète: "Cette situation sera-t-elle vécue à un moment donné comme tellement insupportable qu’il apparaîtra un cadre politique ? Je le pense." Interrogation de Reinhardt: "Qui viendrait d’où ?" Réponse : "Je pense d’une forme de révolte"...
Et Schweitzer de décrire cette révolte : "Le flux financier découvrira qu’il ne peut plus espérer des rendements aussi élevés… il découvrira que les rapports de force ne sont plus les mêmes. (…) Vous serez amené à rechercher un compromis social. (…) C’est l’idée de base. Ce n’était pas la générosité des dirigeants qui faisait que dans les Trente Glorieuses les salaires montaient aussi vite que les profits. (…) C’est un rapport de force. Il faut retrouver un équilibre des forces. (…) Et mon point c’est que ce contre-pouvoir peut venir, soit d’une révolte dans les pays occidentaux, d’une majorité qui dit "On en a ras la frange", soit de mouvements venus des autres pays, qui peuvent dire "Ce partage des choses est insupportable"."
Ces propos sont-ils l'expression d'un cynisme décomplexé ou d'un dédoublement de personnalité? On laissera la réponse à l'intéressé. Mais ils montrent en tous cas la voie aux salariés de Renault qui trouvent ces distributions de stock-options indécentes. Il faut se battre. Et, pourquoi pas?, faire peur à Schweitzer...