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La carte des régions des jeunes déscolarisés
Il fut un temps où en Corse les familles n'avaient d'autres recours que de vivre en autarcie. En clair, elles ne pouvaient compter que sur elles-mêmes. Elles cultivaient leur jardin, élevaient des animaux, engrangeaient tout ce que la nature pouvait leur donner. La Corse d'alors était rude et les aides sociales n'existaient pas. Tout était compensé par une solidarité exemplaire. Les personnes les plus défavorisées avaient toujours le gîte et le couvert. L'île a connu depuis de profondes mutations. Chômage, précarité, drogue, violence : elle n'est épargnée par les maux qui gangrènent notre société et l'on assiste parfois à des comportements qui font se demander si cette entraide légendaire existe encore.
Vue de l'extérieur, la Corse donnerait plutôt l'image d'une région où la vie est douce et facile. Si elle est sans doute rose pour certains, pour d'autres elle est le plus souvent teintée de gris. Même si l'on sait que des difficultés aujourd'hui existent, (l'activité grandissante des associations caritatives et des structures sociales oeuvrant au quotidien en témoigne), l'enquête sur
Les populations vulnérables en Corse, qui vient d'être publiée par la Direction régionale de la jeunesse et des sports et de la cohésion sociale et la direction régionale de l'Insee nous ramène à une réalité que nous étions bien loin d'imaginer.
Réalisée dans le cadre de la « plate-forme d'observation régionale sanitaire et sociale » qui s'est donnée pour mission de «
favoriser le partage des données, d'informations et d'études entre les principaux partenaires locaux et d'apporter à chaque acteur politique, institutionnel ou associatif des outils pouvant étayer et enrichir ses actions et réflexions », cette publication aborde la précarité dans l'île.
Le préfet de région, Patrick Strzoda, souligne que «
ce document propose un nouvel éclairage sur la structure de populations insulaires dites « fragiles ». Pauvreté économique, difficulté d'insertion, d'intégration, dépendance, isolement, sont évoqués, croisant facteurs sociaux, économiques et physiques.
Sept groupes ont été identifiés : personnes âgées, familles monoparentales, immigrés, populations des ZUS (zones urbaines sensibles), jeunes déscolarisés, personnes handicapées et personnes en grande difficulté sociale.
Quatre populations apparaissent surreprésentées dans l'île au regard des chiffres nationaux : les personnes âgées, les familles monoparentales, les jeunes non-insérés et les immigrés.
Dépendance et faibles ressourcesAvec 26 % de personnes de plus de 60 ans, la Corse est parmi les quatre régions françaises les plus âgées.
Ce tableau met en exergue le vieillissement de la population insulaire : si les tendances démographiques perdurent, en 2040, un insulaire sur trois sera âgé de plus de 65 ans et un sur huit de plus de 80 ans. Des personnes âgées particulièrement touchées par la précarité avec un taux de bénéficiaires d'allocations supplémentaires vieillesse et de solidarité trois fois plus important que sur le Continent (soit 17,8 % contre 5 %). Face à la dépendance, les chiffres sont également supérieurs à la moyenne nationale, avec en ce qui concerne les aides sociales accordées dans ce cadre (ACTP, APA, ASH, PCH...)*, 254 % de bénéficiaires contre 95 %.
Pour ce qui est de l'isolement des personnes âgées, elles sont toutefois moins nombreuses à vivre seules. Ainsi 32,5 % des personnes de plus de 75 ans habitent avec leurs proches, soit 7 % de plus que sur le Continent.
Des chiffres révélateurs d'une famille qui changeAutre constat, en Corse, comme ailleurs, les familles monoparentales sont de plus en plus nombreuses. Elles représentent à elles seules 26, 5 % des familles insulaires.
Ainsi près de 16 000 enfants vivent avec un seul de leurs parents. La majorité d'entre eux partage leur quotidien avec leur mère, la garde leur étant plus facilement accordée lors du divorce.
Plus exposés à la précarité, ces foyers sont également marqués par la pauvreté. Leur niveau de vie médian est de 17 % inférieur à la moyenne régionale.
Cette rupture de l'équilibre familial est sans doute l'un des facteurs qui favorisent la déscolarisation.
Une déscolarisation inquiétante chez les jeunesSeulement 60,2 % des jeunes de 18 à 21 ans, sont scolarisés.
Lorsqu'on mesure la fonction de socialisation occupée par l'école, on ne peut que s'interroger sur la place que ces jeunes déscolarisés pourront avoir dans la société. Entraînant de ce fait, une insertion difficile.
Si ce n'est à Corte...cité universitaire, les autres villes affichent des chiffres là encore assez préoccupants, avec une part de jeunes de 15 à 29 ans « non insérés » (ni en emploi, ni scolarisés) qui oscille entre 17 et 23 % selon les communes.
Les zones urbaines sensibles font également l'objet d'un focus qui donne des indications intéressantes. Ainsi 19 000 personnes (soit 1 habitant sur 5) vivent en ZUS à Ajaccio et 11 000 à Bastia, (soit un quart des habitants).
15 000 personnes bénéficient de la CMU-CAutre « population vulnérable » apparaissant dans cette enquête, les immigrés qui sont au nombre de 27 400 (soit 9 % de la population) avec une communauté marocaine qui reste majoritaire et une forte augmentation de Portugais. Si cette étude montre, par ailleurs, une forte hausse du nombre de personnes handicapées percevant des aides sociales, en revanche elle révèle une faible prise en charge avec un taux d'équipement inférieur à la moyenne nationale.
Pour ce qui est des personnes en grande difficulté sociale, il faut savoir que 15 000 d'entre elles bénéficient de la CMU-C*, une tendance à la baisse aussi bien au niveau régional que national. Paradoxalement, malgré un taux de pauvreté parmi les plus élevés de France, le nombre de ces bénéficiaires n'est pas plus important en Corse.
L'état des lieux qui a été dressé est pour le moins préoccupant. Il démontre l'importance de cette fracture sociale, il s'agit maintenant de savoir comment elle peut être réduite plus encore.
ACTP : allocation compensatrice pour tierce personne
APA : allocation personnalisée d'autonomie
ASH : prestation accordée si les revenus de la personne âgée et l'aide financière de ses enfants ne lui permettent pas de couvrir en totalité des frais d'hébergement en maison de retraite
PCH : prestation de compensation du handicap pour les personnes âgées et handicapées
CMU : couverture maladie universelle complémentaire