- vince a écrit:
- Ils sont libre
Récit d'audienceUne partie des migrants débarqués en Corse et placés en centres de rétention passaient devant la justice ce dimanche. A Nîmes, comme à Rennes, le juge a décidé de la nullité de la procédure. Compte-rendu.
Cet après-midi à Nîmes, le juge des libertés et de la détention (JLD) devait statuer sur le cas de 47 adultes syriens d’origine kurde, arrivés de Corse et transférés au centre de rétention administrative de Nîmes samedi soir, avec seize enfants. Les audiences ont été réparties entre trois juges.
Peu avant dix-huit heures, la décision est tombée pour douze d’entre eux et sept enfants. La procédure a été jugée nulle. L'un des juges a motivé la décision de nullité pour trois motifs: atteinte au droit fondamental de demander l'asile, atteinte à la convention des droits de l'enfant, absence de pièces dans le dossier. Le parquet a fait savoir qu'il ne ferait pas appel. Les migrants vont donc être libérés. Il devrait en être de même pour le reste des migrants qui comparaissaient, pour lesquels les décisions étaient attendues dans la soirée.
Rachid a 38 ans. En Syrie il travaillait dans la décoration intérieure. Sa femme et leurs deux enfants, des jumeaux, cinq ans peut-être, attendent sur le banc derrière lui. «Je suis le juge chargé de juger la demande du Préfet de Corse du maintien pendant quinze jours dans le centre de rétention administrative de Nîmes», lui explique le JLD Jean-Pierre Bandiera. «Il a payé combien pour venir?», poursuit-il en s’adressant à l’interprète de langue kurde, qui traduira systématiquement l’ensemble des propos du juge ainsi que des retenus.
L’homme: «Un million de l’argent syrien.»
Le juge: «Quand il est arrivé sur le sol français, que s’est-il produit ?»
L’interprète traduit: «On a cherché une habitation, il n’y avait que des montagnes. On a trouvé un panneau, on a croisé deux voitures de chasseurs sur la route. Ils nous on dit qu’il y avait une ville à droite, une ville à gauche. Des familles ont pris à droite, les gendarmes sont arrivés dans une voiture bleue. Ils ont amené des minibus.»
Le juge: «Y avait-il un interprète dans le minibus ?» L’homme répond par la négative et poursuit: «On nous a acheminés vers un grand lieu et on nous a divisés en trois groupes.»
«On ne savait pas où on se trouvait»
Le juge s’enquiert de la présence d’un interprète. Toujours pas. «On a dit nous sommes des Kurdes, nous voulons nous réfugier dans votre pays.» «Ont-ils quitté le gymnase ? A-t-il compris quand on lui a notifié cette décision de placement en rétention hier matin, le 23 janvier?», demande encore le juge. La réponse est non.
«Quand on a débarqué, on ne savait pas où on se trouvait. Ils ont dit en Corse, ils nous ont fait très peur en disant que la Corse est en lutte contre la France. On a demandé d’être réfugiés auprès du gouvernement français.» Le juge: «Rassurez-vous ici c’est plus calme…»
L’homme: «La Corse a pris la décision de nous expulser, on a refusé, on a demandé de nous couper la tête.» Le juge: «C’est une activité que la République ne pratique plus depuis un bout de temps. Est-ce qu’ils ont compris qu’ils pouvaient demander l’asile?» L’homme : «On nous a fait comprendre que là-bas, on n’a pas le droit de demander l’asile». Le juge: «Décidément la singularité de la Corse se poursuit jusqu’au bout!»
L’homme se met à louer la France, pays des droits de l’homme. Le juge à l’interprète: «Ne le détrompez-pas, la France reste le pays des droits de l’homme.»
«En Corse, il n’y a pas d’avocat»
C’est au tour de l’épouse, Oda. On apprend que le couple a quitté la Syrie car le pays refusait de scolariser les deux jumeaux.
La plaidoirie de la défense, organisée avec l’aide de la Cimade, est tranchante. Maître Pascale Chabert-Masson fustige une procédure indigne ainsi qu’une liberté fondamentale bafouée, celle de demander l’asile. Elle pointe les nullités émaillant l’ensemble de la procédure. Absence d’interprète le plus souvent, ou bien procès verbaux où seule une signature apparaît, sans qu’on connaisse le nom de l’interprète ni la langue employée. Ont-ils été placés en garde à vue ? Dans tous les cas, il n’y a pas de PV d’interpellation.
Selon elle, «ces gens ont été privés de liberté». Dans le gymnase, personne ne pouvait entrer sans une autorisation. Eux ne pouvaient pas en sortir. Le gymnase a donc été transformé en local de rétention administrative, sans qu’aucune des conditions pour cela ne soient respectées (téléphone en libre accès, un local pour les visites, un local pour les avocats, etc.) L’un des réfugiés a demandé un avocat, on lui a répondu : «En Corse c’est trop petit, il n’y a pas d’avocat.»
Le procureur de la République doit aussi être informé de leur arrivée à Nîmes le 23 janvier au soir ; or l’avocate n’a pas l’avis en question dans son dossier. Elle dénonce enfin le placement des enfants en rétention, non adapté selon elle, après un long périple à fond de cale puis plusieurs nuits sous les pins sur une plage de Corse. «Je vous demande d’annuler cette procédure. Ils doivent avoir le droit de demander l’asile.»
Dans les couloirs, au milieu d’environ quatre-vingt personnes, des militants Cimade et Resf, des journalistes, la secrétaire générale de la Préfecture de Nîmes attend la décision. Elle confirme que des places en hôtels ont été réservées pour ce soir…