Portrait
Frédéric Thiriez, l'agent du footLE MONDE | 13.02.08 | 15h27 • Mis à jour le 13.02.08 | 15h28
Le petit monde du ballon rond a la reconnaissance du ventre. Et Frédéric Thiriez, le président de la Ligue de football professionnel (LFP), le nourrit bien. Un simple chiffre en euros a suffi à museler ses adversaires : 668 millions. C'est la somme annuelle que touchera la LFP pendant les quatre prochaines saisons, pour avoir cédé les droits de diffusion de la Ligue 1 à Canal+ et à Orange. Ce pactole irriguera ensuite l'ensemble du football français. Il ira surtout remplir les poches des clubs professionnels, dont les revenus dépendent aujourd'hui pour moitié de l'attribution de ces fameux droits audiovisuels.
1952 Naissance à Paris.
1977 Sort de l'ENA et devient auditeur au Conseil d'Etat.
1982 Directeur de cabinet du secrétaire d'Etat à la sécurité publique.
1988 Directeur des affaires politiques du ministère des DOM-TOM.
1990 Avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation.
2002 Elu président de la Ligue de football professionnel. | Frédéric Thiriez, président de la Ligue de football professionnel. |
La cote de popularité de Frédéric Thiriez a grimpé en flèche.
"Il m'épate", dit Jean-Claude Plessis, le président du FC Sochaux, qui lui porte
"de l'affection". Christophe Bouchet, l'ancien président de l'Olympique de Marseille, a, en son temps, ferraillé
"très durement" avec lui.
"C'est un bretteur et un excellent politique", reconnaît-il aujourd'hui. Le mot est lâché : politique. Il revient sans cesse, le plus souvent pour louer son sens de la négociation. Parfois, pour regretter son opportunisme.
"Il sait de qui il est le moins embêtant de devenir l'ennemi", constate Philippe Piat, le président de l'Union nationale des footballeurs professionnels.
Le combat pour le renouvellement des droits audiovisuels a confirmé son talent d'équilibriste. D'un côté, Canal+, le partenaire historique de la Ligue 1 à la télévision, ne voulait plus payer les 600 millions d'euros annuels consentis il y a quatre ans, au plus fort de la lutte contre TPS. De l'autre, les clubs professionnels craignaient de voir baisser leurs revenus. L'arrivée d'Orange dans le jeu permet à la chaîne cryptée de payer moins tout en gardant la majeure partie du
"produit Ligue 1", et aux clubs d'accroître légèrement leurs revenus. Thiriez, que l'on disait menacé, sort renforcé de la bataille. Et celui qui a pris la tête de la LFP en 2002 sans réels soutiens est bien placé pour obtenir une deuxième prolongation de son mandat, à la fin de l'année.
Rien ne prédestinait cet énarque de 55 ans à s'intéresser aux affaires du football. D'abord haut fonctionnaire, il travaille avec Gaston Defferre au ministère de l'intérieur et avec Joseph Franceschi au secrétariat d'Etat à la sécurité publique, en tant que directeur de cabinet. Puis, dans la mouvance de Michel Rocard, alors à Matignon, il prend la direction des affaires politiques du ministère de l'outre-mer.
Changement de cap en 1990 : il quitte la fonction publique à la suite d'une proposition d'Arnaud Lyon-Caen, avocat au Conseil d'Etat, qui cherchait un associé. Aujourd'hui, cette activité d'avocat lui assure la majeure partie de ses revenus. A la LFP, son travail est, rappelle-t-il
, "bénévole".
Celui que Jean-Claude Plessis décrit comme un hyperactif affirme qu'il est venu au foot
"par hasard". Par défaut, corrige le président du FC Sochaux. En 2002, les clubs voulaient démettre l'encombrant Gérard Bourgoin de ses fonctions de président de la LFP. Le candidat envisagé, André Soulier, n'a pu être élu au conseil d'administration. Frédéric Thiriez y siégeait, disponible. Il avait rencontré le monde du football quelques années auparavant, en plaidant une affaire pour la fédération.
Petit-fils d'un industriel du Nord, fondateur de l'entreprise textile DMC, Frédéric Thiriez vient d'un milieu qu'il définit comme très favorisé. Enfant du 7
e arrondissement de Paris, il a toujours vouvoyé ses parents. Il a grandi aux collège et lycée Stanislas avant de rejoindre Sciences Po Paris, puis l'ENA. Au passage, il a glané un 4
e prix au concours général de philosophie.
Ce CV de parfait commis de l'Etat cache une personnalité peu lisse. Après avoir reçu une éducation
"très catholique et pas "bling-bling"", il est parti
"bouffer du curé" en s'encartant au PSU de Michel Rocard, à 16 ans. Il a aussi frayé avec les trotskistes. Aujourd'hui, il affirme être resté ce qu'il a toujours été : un
"socialiste de droite". Il qualifie sa femme, Marie-Claire Carrère-Gée, ancienne secrétaire générale adjointe de l'Elysée sous Jacques Chirac et candidate UMP dans le 14
e arrondissement de Paris aux prochaines municipales, de
"gaulliste de gauche".
"C'est un homme de réseaux", constate Christophe Bouchet.
"Avec ses contacts dans les milieux politiques et juridiques, il a obtenu des choses qu'aucun autre n'aurait pu obtenir", confirme Philippe Piat. Lors de la joute pour la renégociation des droits, il n'a pas hésité à pousser la porte de Nicolas Sarkozy.
Frédéric Thiriez, avocat, président de la LFP, franc-maçon, se produit aussi sur scène pour chanter de l'opérette. Il refuse les déjeuners pour aller nager chaque midi à la piscine du Fouquet's. Il ne boit
"jamais" d'alcool, mais fume cigarette sur cigarette - et,
"d'ailleurs, (il)
n'a aucune envie d'arrêter". Il roule en Harley Davidson, soigne ses bacchantes. Il a tenté en 1984 d'escalader le Hidden Peak (8 096 m) avec Pierre Mazeaud, vainqueur de l'Everest et ancien président du Conseil constitutionnel. L'alpinisme est, dit-il, sa vraie passion.
Pourquoi être venu au football ?
"C'est la seule chose, avec la musique, qui peut réunir autant de personnes. J'adore le spectacle." "J'aurais voulu être un artiiiiiste..., chante-t-il en riant.
Comme maman", la chanteuse des années 1960, Christine Fontane. Selon Christophe Bouchet, son moteur est
"le jeu" :
"Le jeu du pouvoir, le jeu politique. Il a eu de multiples vies."On lui trouve un air de cow-boy, ou un côté "Brigades du Tigre", au choix. Cela ne lui déplaît pas. Il rappelle pour préciser :
"Quand j'étais directeur à la police, j'aimais sortir la nuit, aller "planquer". Je me souviens d'une filature avec le commissaire Broussard, avec un "sous-marin" et quarante voitures. Mieux que dans les films !" Il conserve le Smith & Wesson.38 qu'un autre "flic" vedette, Charles Pellegrini, lui a donné.
De Frédéric Thiriez, Michel Rocard, son
"mentor", dit aujourd'hui :
"C'était, dans mon équipe, un bon négociateur. Parfois aux limites de la comédie, peut-être, comme les gens qui ont un grand talent d'expression. Mais je crois qu'il est un honnête homme, ce qui est important dans le milieu du football." Dans son cabinet, des reproductions de Miro et de Picasso ornent un mur. Elles sont de sa main,
"peintes à l'adolescence", et de bonne qualité. Jusqu'à la signature contrefaite des maîtres. Cela le fait sourire.