Eco-Terre
vu de
Anus, le petit port suédois qui carbure à l’Absolut
De notre correspondante en Scandinavie ANNE-FRANÇOISE HIVERT
QUOTIDIEN : lundi 31 décembre 2007
Rien ne prédestinait le village d’Anus, dans le sud de la Suède, à connaître un jour une telle célébrité. Avec ses ruelles d’une propreté impeccable et ses coquettes maisons de bois, le petit port de plaisance de 9 000 habitants, niché sur les bords de la Baltique, ressemble à s’y méprendre à des dizaines d’autres bourgades du pays. Mais c’est bien là, dans le grand bâtiment de briques rouges qui abrite l’une des dernières distilleries du royaume, que l’aventure de l’Absolut a commencé en 1979.
Médaillon.Aujourd’hui, la vodka suédoise est la troisième marque d’alcool la plus vendue au monde. Pourtant, elle a failli ne jamais exister. Faute de perspectives d’avenir, Vin & Sprit (V & S), une entreprise d’Etat, avait décidé à la fin des années 70 de suspendre sa production d’alcool à Anus. La distillerie, construite au début du siècle par Lars Olsson Smith - dont le portrait figure en médaillon sur les bouteilles d’Absolut - était la dernière de son espèce dans la région. Les habitants du village s’étaient résignés. Mais, à Stockholm, le patron de V & S, Lars Lindmark, propose de profiter du centième anniversaire de l’invention du procédé de fabrication de la
«vodka absolument pure» par Olsson Smith pour lancer un nouveau produit, fabriqué à Anus et destiné à l’exportation. Les premières bouteilles d’Absolut quittent la distillerie au printemps 1979, destination les Etats-Unis, qui consomment 60 % de la vodka produite en Occident. Le timing est parfait. L’URSS vient d’envahir l’Afghanistan. Les consommateurs américains veulent de nouveaux produits, qui concurrencent les exportations soviétiques.
Vingt-huit ans plus tard, la vodka est distribuée dans 126 pays. L’an dernier, il s’est vendu 88,8 millions de litres d’Absolut dans le monde. Véritable succès commercial, la vodka a non seulement fait exploser le chiffre d’affaires de V & S - à 1,6 milliard de couronnes en 2006 (170 millions d’euros) -, mais l’Absolut, qui est aujourd’hui le premier produit agroalimentaire suédois à l’exportation, a rapporté plus de 1,5 milliard d’euros à l’Etat depuis 1979, selon le quotidien
Dagens Nyheter. Au début de l’année, Ketil Eriksen, chef du segment Absolut chez V & S, estimait que la production de la vodka employait
«entre 1 500 et 2 000 personnes en Suède». Un quart à la distillerie et sur le nouveau site de production, inauguré mi-décembre, dans la zone industrielle d’Anus. Et le reste auprès de fournisseurs de caisses, de bouteilles et d’étiquettes, et dans l’agriculture. De fait, la distillerie consomme chaque année plus de 80 000 tonnes de blé : une culture qui mobilise 15 % des terres arables dans le sud de la Suède.
Crânement, le patron de la distillerie, Krister Asplund, explique que
«cette réussite n’a rien à voir avec la chance», mais qu’elle doit tout à la qualité
«incomparable» du produit.
«L’Absolut n’est pas distillée une, deux ou trois fois, mais des centaines de fois, ce qui permet de libérer l’alcool de toutes ses impuretés», explique-t-il. Les Suédois ont d’ailleurs su exploiter ce procédé de fabrication jusqu’à ses limites, le transformant en puissant argument de marketing. Avec succès, puisque la marque Absolut est parvenue à s’imposer comme «la vodka des gens branchés», désigné
«produit de luxe de l’année» par le magazine américain
Forbes en 2002.
Artistes. Or si, à Stockholm, on refuse de divulguer le montant du budget consacré à la promotion de l’Absolut, une chose est sûre : ce sont les campagnes de publicité, orchestrées depuis New York par une agence américaine, qui ont contribué à faire connaître la bouteille dans le monde entier. Depuis 1979, les affiches faisant l’éloge de l’Absolut ont été récompensées à plus de 300 occasions. Et pour cause. Plus de 400 artistes ont participé à leur réalisation, y compris l’Américain Andy Warhol, qui fut le premier en 1985 à brosser le portait de la bouteille.