Soirée Comptoir

Je fais du ménage sur mon PC... alors avant de jeter, voilà un petit texte sans prétention aucune qui était destiné à l'excellent blog du divin chauve exilé...
Pour se replacer dans le contexte, il était proposé sur ce blog une sorte de guide du parfait corse...
Je place ce texte ici dans l'espoir que le sieur Exiliat' nous gratifie à nouveau de ses écrits flambants...

Citation :: A des fins purement pédagogiques, il vous est proposé dans l'article qui suit de vous préparer à une épreuve redoutable et redoutée qui a fait tomber plus d'un masque dans les différents bars, bistrots, et cafés de l'Ile de Beauté, à savoir "la Soirée comptoir" (le chapitre caboulot/discothèque sera sans doute traité dans un article suivant). Ceci étant, et dans un souci de préserver votre choix initial, à savoir celui d'avoir choisi la voie du montasega ou celle du rustre nustrale, il est important de préciser que le candidat à cette épreuve ô combien difficile devra être méfiant quant à la localisation géographique de l'endroit où va se dérouler l’épreuve. En effet, la situation à laquelle il sera confronté prendra une tournure tout à fait différente selon que le candidat se trouve sur le port Toga ou à l'Amirauté, ou bien chez les tonti de Luri ou de Palneca. Pour faire ses armes, le candidat pourra se rabattre sur la pittorechque cité de l'interieur, Corti, où les deux genres de faune sont présents, et pourra ainsi scapper en douce dans les strette si la situation devient ingérable, sans toutefois échapper aux quolibets des autochhhtones présents à la sortie dudit établissement. Trève de bavardages, abordons sans plus attendre les différents aspects du défi auquel vous serez confronté tôt ou tard dans votre quête de la Sainte Corsitude.

Ainsi vêtu de sa panoplie habituelle, pantalon en lin Prada/Tshirt Hugo Boss/Tongs brésiliennes pour le montasega, Tshirt-FLN/treillis/Meindl pour le ruchtre, le candidat avancera d'un pas assuré et nonchalant à la fois (très important de conserver un certain détachement) vers l'établissement de son choix. Pour le profane, nous lui recommandons vivement pour la première soirée d'être accompagné d'un ou plusieurs fraté afin de diminuer le risque de prise en main par les piliers du bars, ou mieux de rejoindre ces mêmes fraté après que ceux-ci se soient déjà installés au comptoir et vous aient déjà appélé 10 fois sur votre portable (Nokia 3310 pour les rustres, Motorola U890 6.0 mégapixels pour les montasega). De cette manière, vous ferez une entrée des plus remarquées dans le bar en tapant la bise à des habitués en prononcant le rituel "ô goko cume stai ?".

Bien qu'entre le montasega et le rustre, le style de l'établissement diffère, l'entrée en matière peut être traitée de manière commune.

Or à peine arrivé, pas le temps de souffler, vous voilà déjà confronté à la question cruciale : "aio, Kaîsse tu bois ?"... et là, pas de panique, nous sommes là pour vous aider... retenez bien la conseil qui suit:
Dès le seuil de l'établissement franchi, vous devrez avoir identifié d'un regard furtif, les consommations alcoolisées disposés sur les étagères du bar et le contenu plus ou moins douteux des verres déjà présents sur le comptoir.

Vous vouliez un jus de fruit ??? dommage, ils sont planqués dans les frigos sous le comptoir, et à moins d'être assez téméraire pour affronter dès votre première sortie le grand ténébreux qui sert de patron, vous devrez vous rabattre sur les consommations usuelles, à savoir Casa ou Johnny.

NDLR: oubliez vos réflexes continentaux et surtout, ne vous risquez pas d'un "un ricaaard siou plait" ou "mets-y un p'tit jône putaing" du plus mauvais effet, et qui ébranlerait à coup sûr votre frêle assurance... boissons à proscrire: Picon bière, gomé, chti canon d'blanc, evioon, badoué... préférer les boissons locales : muscat, Casa (ou mieux Damiani), Johnny/Balantinaisse, Pietra, Zilia ou Saint Georges, Orezza...

Optez pour un bon "à quoi tu es fraté ???... allez, listessu" (prononcez li-chtè-ssou) et ne sourcillez pas quand le patron vous pose un verre à peine rincé, et qu'il le rempli d'un liquide jaune anisé jusqu'à un demi-centimètre du bord... Sur ce, n'hésitez pas une seconde, et déclarez d'un ton ferme au patron (même s'il vous regarde d'un œil inquisiteur) "Què, ghjè a meia !!!" pour les plus dégourdis… ou un bon "Aio c'est la mienne, hein !!" si vous ne vous êtes pas suffisament entrainé à adopter les expressions de la lingua nustrale...
A titre purement informatif, et afin de guider le corse fini à la pisse ou le touriste gaulois en manque d'identité, chez nous on est à la tournée… Définition : on ne paie pas que son verre, on offre à boire aux convives présentes à table ou au comptoir... Dans le cas contraire, attendez vous à entendre notre fameuse expression "à chi beie solu, crepa solu" ou pire, à vous ramasser un coup de verre à Johnny en dessous du nez après une bonne scuzzulade....

Vous tendrez alors un billet de 20 euros au patron – ne tremblez pas – plié dans sa longueur pour les montasega, chiffoné dans la poche pour les rustres... pas 10 euros, trop peu, ni 50 euros (beaucoup trop… au risque de vous le faire tirer à la faccia par le patron accompagné d'un bon "AIOOO, tu te crois où ? au Fouquet's ?")… ce à quoi vous rajoutez "ci n'hè abbastanza ??" (il y a assez ??)... si le patron vous arrache votre billet sans vous donner de réponse, c'est tout bon... si vous avez droit à "mancanu cinque ô connu", sortez un autre billet aussitôt... Conseil: quand le patron vous apporte la monnaie, nous vous conseillons de la laisser trainer sur le comptoir... dans le cas contraire, vous seriez tout de suite repéré par les joueurs de coudes présents autour de vous, qui adopteraient dans la foulée des sourires malicieux suivis par "Boouh chi gaulois quessu"... Ainsi délésté de 40 euros, vous aurez droit à la tranquilité pour le quart d'heure suivant...

Ainsi, muni de votre boisson, vous lancerez ou répondrez par un bon "A salute" (prononcez a-za-lou-dè") voire "A santata" si votre niveau humoristico-intellectuel vous permet d'apprecier toute la finesse de cette répartie (gens du nord de la france, s'abstenir)...

Vous voilà maintenant lancé dans le grand bain d'une soirée comptoir, comme on les aime chez nous...

Les guitares résonnant assez facilement dans les régions reculées de la Corse, il sera nécessaire pour le ruchtre d'avoir étudié au préalable les parolles de trois ou quatre chansons politiques (Populu vivu, l'Armata, Resistenza, A Palatina) avec en bonus track la désormais célèbre "Mort aux vaches et mort aux condés" (bassu : ô Cruchooooot; Terza: statu francese, assasssinu) unanimement appréciée, et enviée par nos "chers amis" estivants continentaux ébahis par tant de poésie et d'harmonie vocale.

Le montasega (ajaccien), quant à lui, devra se plier aux exigences de son standing, et siroter sa Caipirinha, son Mojito ou son cocktail-Entri-m'in-culu-à 30 euros en s'efforcant de parcourir la salle d'un regard mysterieux tout en initiant une discussion animée avec ses comparses sur les bienfaits de la climatisation dans les voitures cabriolets... Le portable posé sur le comptoir en granite poli, le montasega aura laissé consigne à sa petite soeur de l'appeler toutes les 10 minutes afin de montrer à la salle l'étendue de sa phone-list (Tu le sais coco) et de faire partager la puissance polyphonique de son dernier télephone (Oh bast' comme il est toc de mac) à 700 euros...

Vous avez passé la première demi-heure, quel exploit... nous vous en félicitons, toutefois [yoda on] de nombreuses situations périlleuses, de nouveau rencontrer vous allez [/yoda off]...

Arrive maintenant, le passage de la seconde tournée, celle-ci précédée par un "riservici" général (traduction: ressers-nous s'il te plait) demandé par les lions du comptoir, joues roses et crinières au vent. Inutile de vous précipiter sur votre verre pour en finir les dernières gouttes, au risque de vous faire tirer un glaçon ou une bouteille par le patron...
NDLR: dans certains établissements, la note se paie à la fin de la soirée selon un forfait établi par le patron (forfait étudiant/locaux : 10-20 euros; forfait touriste-la vie est injuste : 50 euros)...

Attention !! au cours de la soirée vous risquez d'etre confronté à une situtation des plus dangereuse quand un pezzò ou avion en string s'affaque dans le bar... premier réflexe à avoir : "Même pas tu la regardes ô enculé"... surtout si ladite personne commence à taper la bise aux piliers de comptoir... le coup du "j'vous off' cake chooose ??" est à la limite du suicide, si cette beauté farouche vous réponds "et kaisse tu veux ô gaulois, va te taper une sega", généralement suivi d'un canon fourré dans votre cavité buccale par l'ours, jusqu’ici calme, positionné à l'autre extrémité du comptoir... Oubliez tout de suite vos prétentions hormonales, vous n'êtes pas à la hauteur, contentez vous de consommer tranquillement votre boisson...

La soirée avance, vous ne vous en êtes pas trop mal sorti jusque là... tout le monde commence à avoir un bon niveau de sang dans l'alcool... et là, c'est le drame, une bagarre éclate... enfin, c'est tout comme... deux individus jusque là tranquilles, se font face, le visage rouge sang, et éructent des choses incompréhensibles pour vous profane, en se montrant ostensiblement leurs doigts crispés par la tension palpable dans toute la salle
"SEEEEI SESSANTAMIIIIILLAAA AAHIIIIII"...
Ne vous enfuyez pas, personne ne va sortir son arme (sauf dans le Niolu)... il s'agit d'un jeu de toute beauté, la Santa Mora, que seuls les hommes, les vrais, les corsicos peuvent pratiquer en toute flambance, pas les demi-portions nordiques,... le principe est simple, le gagnant est celui qui allie au mieux force vocale et regard persuasif... autant dire que vous n'avez aucune chance... appréciez en silence, et surtout restez à distance, au cas où le perdant aurait besoin d'un défouloir...

La soirée bat son plein, voilà déjà trois heures de passées, pfffiiouu on aurait pas donné cher de votre peau, bravo... Votre problème principal est maintenant de gérer au mieux votre chancelance pinzutesque...
Selon l'expression consacrée, vous vous êtes donc pris un singe (una scimia) plus ou moins obscur sur l'échelle du gris au noir... cependant, malgré votre merzitude, maintenant flagrante aux yeux de tous, vous remarquez que votre pastis, pourtant d'un aspect conventionnel, vous arrache trois papilles à chaque gorgée... et là c'est trop tard...profitant de votre pitoyable état, des personnes mal-intentionnées désireuses de s'amuser encore un peu, viennent de vous donner le coup fatal... vous avez devant vos yeux mi-clos un verre contenant la botte secrète originaire de Guagnu-les-bains (les pieds dans l'eau, les chaussures à la main): le fameux "pastis-dynamite", mélange de pastis et d'acqua vita qui finit de vous achever...

Sentant votre estomac faire des ronds autour de votre trou de balle, vous vous précipitez en dehors du bar, slalomant péniblement entre les tables de la terrasse bondée... à ce moment, telles les effluves remontant de la station d'épuration de l'Arinella, les chips et les cacahuètes ingurgitées tout au long de la soirée se sentent pousser des ailes et jaillisent de votre bouche comme un geyser du Yellowstone Park... C'en est fini de votre réputation, vous êtes à jamais grillé sur la terre de Corse, vous pouvez rentrer chez vous si vos jambes vous tiennent encore...

Comprenez ainsi, vous le candidat au titre du parfait corse, qu'il faudra vous armer de patience afin de pouvoir suivre vos fraté dans leur périple, le sport naziunale, c’est à dire "les bars parralèles"...

A bientôt pour une prochaine leçon avec le guide du parfait corse...